Focus
Dans la fabrique du journal parlé de France Inter (1975)
L'éducation aux médias et à l'information (EMI) est aujourd'hui au coeur du projet éducatif de l'École. L'un de ses objectifs est d'"identifier les différents médias, en connaître la nature, en comprendre les enjeux et le fonctionnement général" (circulaire du 24 janvier 2022, in Bulletin officiel de l'éducation national, n°4, 27 janvier 2022).
Cette préoccupation était déjà celle de la Radio-Télévision Scolaire, comme en témoignent un certain nombre d’émissions proposées dès les années 1960-1970 : y étaient en effet évoquées la presse, la télévision et… la radio.
Pour preuve, deux émissions radiophoniques de la série « La Vie contemporaine », diffusées les mardi 14 et jeudi 16 octobre 1975 sur le réseau en modulation d’amplitude de France Culture. Produits par Antoinette Berveiller (1912-2012) et intitulés Le Journal radiophonique (ou Le Journal parlé), ces deux reportages complémentaires s’intéressaient à la fabrique des informations à France Inter. Ils étaient destinés aux élèves du premier cycle de « tous niveaux ».
| Dans la première de ces émissions, Antoinette Berveiller s’entretenait avec Robert West (1923-?), alors rédacteur en chef des actualités radiophoniques de France Inter. Ce grand professionnel des médias y énonçait, avec une très grande clarté, quelques-uns des principes directeurs d’un journal parlé : oralisation des nouvelles préalablement rédigées, spontanéité, insertion d’enregistrements magnétiques illustratifs, importance des agences de presse et des téléscripteurs, rôle crucial des correspondants et des reporters, nécessité de choisir les informations et de les vérifier, etc. Le journal parlé 1, série : La vie contemporaine (1975-OFRATEME) |
Robert West, qui était également enseignant au Centre de formation des journalistes (CFJ), insistait sur une des qualités essentielles de journaliste de radio :
« On lui demande d’abord de penser, non pas tellement à ce qu’il écrit et à ce qu’il dit, mais de penser à ceux qui l’écoutent. Lorsqu’on lit un texte, vous savez que l’on peut s’arrêter dès qu’il y a une petite obscurité dans ce texte, qu’on peut y réfléchir, y revenir, reprendre sa lecture quand on le désire. Alors qu’un journal parlé se déroule comme un film et qu’il s’impose à celui qui l’écoute. Par conséquent, il faut être clair, parce que toute obscurité ralentit la compréhension, parce que toute obscurité peut même faire renoncer à l’écoute. Alors, il faut qu’on soit clair, il faut qu’on soit simple, il faut que le langage qu’on utilise soit élémentaire. »
La seconde émission intéressera vivement les historiens des médias, mais il n’est pas sûr que les élèves du milieu des années 1970 y aient trouvé matière à réfléchir.
Tout d’abord, le micro indiscret d’Antoinette Berveiller se glisse dans une conférence de rédaction, quelque part dans la Maison de la Radio : les journalistes y préparent le journal parlé de 13 heures. La date n’est pas précisée, mais divers indices nous permettent de la déduire : nous sommes dans la matinée du lundi 28 avril 1975.
| Sont en effet évoqués les 25 ans de Télérama ; les sorties prochaines d’un livre du secrétaire général de la CGT Georges Séguy (Lutter), et d’un film de Guy Seligmann sur une école expérimentale pour enfants autistes ou psychotiques (Vivre à Bonneuil) ; la visite d’Ygal Allon, ministre des Affaires étrangères d’Israël, au Mémorial du martyr juif inconnu, à Paris ; une conférence de presse du Dr Jacques Monier, président de la Confédération des syndicats médicaux français, alors que les tensions entre les médecins libéraux et d’Assurance-maladie sont au paroxysme ; etc. Le journal parlé 2, série : La vie contemporaine (1975-OFRATEME) |
Un extrait d’un journal parlé suit. Là encore, la date n’est pas précisée, mais la retransmission en direct d’une course cycliste permet de la fixer sans ambiguïté : il s’agit de la 11e étape du Tour de France, qui s’était tenue entre Pau et Saint-Lary-Soulan le 8 juillet 1975 ; on y assiste à un duel homérique entre Joop Zoetemelk et Bernard Thévenet, tandis que le leader Eddy Merckx a été distancé.
Plusieurs indices en fin d’émission indiquent qu’Antoinette Berveiller et sa réalisatrice Marie-Ange Garandeau se rendirent à plusieurs reprises à la Maison de la Radio durant le mois de juillet 1975. Sont en effet évoqués le voyage du ministre de l’Intérieur Michel Poniatowski au Canada (première quinzaine de juillet) ; la venue de Gerald Ford et Leonid Brejnev à la Conférence d’Helsinki sur la sécurité et la coopération en Europe (fin juillet) ; le Grand Prix moto de Suède (20 juillet) ; etc.
Autant la première émission apparaît cadrée et clairement énoncée, autant la seconde semble impressionniste, et comme dépourvue de fil conducteur. Tout se passe comme si la productrice avait souhaité établir un contraste appuyé entre l’immuabilité des règles et de la déontologie journalistiques, et le foisonnement anarchique de l’actualité.
Article rédigé par Thierry Lefebvre, Comité des travaux historiques et scientifiques.
Pour aller plus loin :
(Photo de l'article extraite de l'émission : Lire le journal 1 et 2, Philippe Pilard, OFRATEME-1974)
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