Chroniques
Modes et vêtements à l'heure du prêt-à-porter
Une sélection de films et de documents sonores produits entre 1968 et 1989 témoigne des évolutions d’un secteur économique encore dynamique, marqué par le succès écrasant du prêt-à-porter, mais également touché par la crise générale du textile qui frappe la France dans la seconde moitié du XXe siècle. Ces documents donnent également la parole aux femmes, ouvrières et couturières, qui constituent l’essentiel de la main-d’œuvre d’un secteur d’activité particulièrement genré.
L’industrie du vêtement
S’inscrivant dans une longue tradition de supports pédagogiques destinés à la présentation de l’industrie, en particulier celle du textile, ces documents s’intéressent plus spécifiquement à la confection. « Économie et prêt-à-porter 1 : Le vêtement et la fringue », réalisé en 1972, insiste ainsi sur l’opposition entre production industrielle et fabrication au détail. Vues d’ateliers d’usines et évocation du Salon international du prêt-à-porter s’opposent aux ateliers plus modestes du quartier parisien du Sentier. Le film insiste par ailleurs sur les aspects liés à la vente et à la nécessaire adéquation entre l’offre et la demande.
« Économie et prêt-à-porter 1 : Le vêtement et la fringue », série Entrer dans la vie, Catherine Terzieff (1972, Ofrateme) A consulter : Document d'accompagnement pédagogique de l'émission publié dans les dossiers de la radio-télévsion scolaire |
Sans surprise, la structuration genrée de ce secteur y apparaît de manière criante : si les femmes sont omniprésentes dans les ateliers, la plupart des postes de direction sont occupés par des hommes.
Quinze ans plus tard, en 1989, le documentaire intitulé « Naissance d’un vêtement » présente les différentes étapes de fabrication du vêtement dans une industrie alors en plein bouleversement. L’arrivée de l’informatique y fait également l’objet d’une attention particulière, les intervenants parlent de digitalisation et de mémoire de l’ordinateur…
« Naissance d’un vêtement », série Radiovision, Maxime Boudet (1989, CNDP) Radiovision : format audiovisuel associant une émission de radio accompagnée de diapositives illustrant le propos. |
L’évocation de ventes de produits français à l’étranger paraît par ailleurs bien optimiste, alors que les délocalisations touchent durement l’industrie textile française.
Parcours d’ouvrières
Témoignage de la très grande féminisation de ce secteur, certaines réalisations donnent la parole aux ouvrières. « Couture et confection », réalisé en 1968, présente ainsi les témoignages d’ouvrières de la couture qui évoquent l’organisation de l’atelier de confection et leurs formations – CAP, BEI (brevet d’enseignement industriel), écoles professionnelles, apprentissage, etc. L’accent est également mis sur la différence entre travail en atelier, travail à domicile et travail à la chaîne, qui nécessitent et mobilisent des compétences différentes, ainsi que sur l’arrivée du prêt-à-porter, « qui offrira aux jeunes filles les plus nombreux débouchés ».
« Couture et confection », série Entrer dans la vie, Claude Weisz (1968, IPN) A consulter : Document d'accompagnement pédagogique de l'émission publié dans les dossiers de la radio-télévision scolaire |
Cette vision optimiste est largement nuancée dans le documentaire « Économie et prêt-à-porter 2 », qui souligne, en 1972, les différences opposant les couturières, en atelier ou à domicile, des ouvrières en usine. À propos de ces dernières, un encadrant souligne que « les jeunes restent peu, car elles comprennent qu’il s’agit d’un travail ingrat peu rémunéré », rappelant ainsi la difficulté d’un métier faiblement rétribué et où la prime à la pièce constitue souvent une part importante du salaire.
« Économie et prêt à porter 2. De la couturière à l'ouvrière spécialisée », série Entrer dans la vie, Catherine Terzieff (1972, Ofrateme) A consulter : Document d'accompagnement pédagogique de l'émission publié dans les dossiers de la radio-télévsion scolaire |
Témoignant des effets d’une mondialisation déjà en marche et dont les effets ne semblent encore pas pris en compte, un fabricant évoque par ailleurs les ouvrières travaillant pour son entreprise au Maroc (travail à façon) ou à Singapour (en usine), embauchées dès 10 ans, à raison de douze heures par jour, pour un salaire de 30 à 40 francs par mois et non scolarisées.
Regards sur la mode
Si bon nombre de réalisations se concentrent sur la production du vêtement, certaines s’intéressent à la construction des apparences et à la manière dont les adolescents s’approprient la mode. En 1960, déjà, la Radiodiffusion-télévision française donnait à des élèves de lycées parisiens l’occasion de s’exprimer sur leur rapport au vêtement. Douze ans plus tard, les deux épisodes « Vive la mode » donnent la parole à des élèves de classes de transition, qui s’interrogent notamment sur la nécessité de suivre la mode.
| « Vive la mode 1. », série La vie contemporaine (1972, Ofrateme) Deuxième épisode disponible sur le catalogue en ligne : Vive la mode 2. |
Leurs réponses apportent de précieuses informations sur rôle de la télévision et des vedettes de la chanson, en premier lieu Claude François et Sheila, dans la constitution des apparences. La question vestimentaire – et, plus généralement, celle du look – est par ailleurs abordée de manière particulièrement genrée et non dénuée de sous-entendus moraux : la longueur des cheveux des garçons ainsi que leurs chemises transparentes et leurs pantalons « pattes d’éph’ » font l’objet de longs débats, de même que les minijupes et les cheveux courts des filles. Le deuxième épisode, qui donne la parole à une styliste, ouvre le propos sur le rôle de l’industrie et sur les évolutions de la mode du moment : mixité vestimentaire, influence croissante des idoles de la chanson et prédominance d’un style décontracté venu des États-Unis (jeans, blousons et tee-shirts).
Apprendre à coudre
Loin des ateliers d’usines, le film « 1, 2, 3 bandes, une jupe froncée » présente, en 1978, un véritable cours de couture, structuré sous la forme d’un dialogue entre deux femmes et déployant, de manière très pédagogique, séquences en film d’animation et gros plans sur les gestes et les mains.
« 1, 2, 3 bandes, une jupe froncée », Série Cousons cousine…, Guy Prébois (1978, CNDP) La série Cousons, cousine... était composée de douze émissions chacune d'elle proposait de travailler sur un modèle à confectionner : le blouson, le kimono, la robe, la cape...
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Alors que les mouvements féministes se faisaient de plus en plus visibles, le titre de la collection dans laquelle il s’inscrit, Cousons cousine…, ne laisse aucun doute sur le caractère genré de la pratique. Quelques années plus tard, l’Éducation manuelle et technique (EMT) intègrera des cours de couture pour tous les élèves de collèges, filles et garçons. Les travaux d’aiguille disparaîtront des collèges à la fin des années 1980.
Pour aller plus loin :
- Nicolas Divert, « De la promotion à la relégation. Le déclin des CAP de couture », Revue française de pédagogie [En ligne], no 180 | juillet/août/septembre 2012, mis en ligne le 15 juillet 2015, consulté le 5 juillet 2023. URL : http://journals.openedition.org/rfp/3798[FA1] ; DOI : https://doi.org/10.4000/rfp.3798
- Nicolas Coutant, Aude Le Guennec (dir.), S’habiller pour l’école, Chasseneuil-du-Poitou, Réseau Canopé, 2023 (notice en ligne).
- Véronique Castagnet-Lars (dir.), Le vêtement de l’élève : un objet d’éducation (xive-xxie siècles), Villeneuve-d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 2024, à paraître.
Article rédigé par Nicolas coutant, Directeur adjoint du Musée national de l'éducation (MUNAE)
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