Chroniques
Un atelier radio... il y a 50 ans
Depuis quelques années, les ateliers radio sont devenus monnaie courante. Ils constituent un des outils favoris de l’éducation aux médias et à l’information telle qu’elle est préconisée de nos jours. L’idée n’est cependant pas nouvelle, comme en témoigne une émission diffusée par la radio scolaire en 1972.
Fabriquer une émission en classe et pourquoi pas la diffuser à la radio ou la déposer sur une page web : cette idée si moderne germa dans les années 1950, à l’initiative d’enseignants – souvent des émules de Célestin Freinet – férus de « correspondance sonore interscolaire ».
Les disques de cire et les enregistrements sur magnétophone étaient alors les moyens privilégiés pour permettre à des groupes d’élèves, souvent très éloignés géographiquement les uns des autres, d’échanger et de commenter leurs productions éditoriales. L’émission « Aux quatre vents », produite par Jean Thévenot, s’en faisait parfois l’écho sur la chaîne publique du Programme Parisien (futur France Inter).
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Dans les années 1960, l’Institut pédagogique national (ancêtre de Canopé) édita un Bulletin de liaison des utilisateurs du magnétophone dans l’enseignement. L’idée faisait également son chemin dans les couloirs de la radio-télévision scolaire (RTS).
Les élèves s’approprient le magnétophone
Au début de l’année scolaire 1971-1972, « Le Club du mardi », une des émissions phares de la radio scolaire, lança un « concours permanent » visant à motiver ses jeunes auditeurs de 3e et leurs enseignants : « Cette participation peut se faire sous la forme d’un envoi de scénario qui serait ensuite mis en onde par la RTS, soit par la réalisation complète de l’émission […] », était-il précisé.
La diffusion de la première « Émission des auditeurs » – telle qu’on la baptisa pour la distinguer du « Club du mardi » traditionnel – eut lieu le 7 mars 1972. Elle était consacrée au roman d’Émile Zola, Germinal.
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Comme le décrit le document d'accompagnement pédagogique : Cette émission a été réalisée par la classe de 3e C d’un CES de la proche banlieue parisienne. La première prise de contact a eu lieu en décembre 1971 ; il a été proposé aux élèves de réaliser eux-mêmes une émission d’une vingtaine de minutes sur un sujet de leur choix, étant entendu que ce sujet devait s’inscrire dans le champ de la série “Le Club du mardi”. [1]
La bande, telle qu’elle est conservée dans les archives audiovisuelles de Canopé, se divise en deux parties. La première est composée d’une sélection d’extraits significatifs de l’œuvre, contextualisés, présentés et lus par les élèves. Ces morceaux choisis sont au nombre de quatre : la confection, par Catherine Maheu, des tartines (ou « briquets ») destinés aux mineurs (chapitre I de la première partie du roman) ; la brioche de la demoiselle Grégoire (chapitre I de la deuxième partie) ; le déclenchement de la grève (chapitre I de la quatrième partie) ; la mort de l’épicier Maigrat (chapitre VI de la cinquième partie). Chaque intervention d’élève est encadrée par des morceaux musicaux jugés adaptés : l’Adagio de Tomaso Albinoni, la Rhapsodie hongroise de Franz Liszt, le choral Jésus, que ma joie demeure de Jean-Sébastien Bach, La Walkyrie de Richard Wagner. « Si c’était un texte qui était triste, nous mettions une musique douce. Et si c’était un texte brutal, comme la révolte, on mettait des musiques violentes et brusques et rapides », précise un élève.
La seconde partie de l’émission, un peu plus courte, consiste en un dialogue sans doute en partie écrit au préalable – et donc oralisé – entre les six ou sept élèves qui composaient le groupe de production. Une voix adulte précise l’objectif de cette sorte de making-of : « Les élèves qui ont conçu ce “Club du mardi” vont maintenant parler des problèmes que leur ont posés la conception et la réalisation de cette émission. »
Cet échange s’avère très instructif, en dépit de sa relative brièveté et de son déroulé « à bâtons rompus ».
Un apprentissage des médias immersif et innovant
Toutes les phases d’un « atelier radio » du début des années 1970 y sont présentées.
Il est d’abord précisé que le choix du thème de l’émission fut négocié en classe : « En tout premier, nous avions décidé de prendre un film, mais au moment où nous voulions le faire, il ne passait plus sur les écrans. Alors, nous voulions prendre l’histoire de Sacco et Vanzetti, mais toute la classe n’était pas d’accord. Alors, nous avons décidé de faire le roman d’Émile Zola, Germinal. » Un autre élève ajoute que ce livre était au programme de l’année en cours.
L’investissement en temps est évoqué : trois mois de préparation à partir de la mi-décembre 1971, date à laquelle le professeur de français (malheureusement non crédité) et le producteur (J.-H. Robert) fixèrent en classe les objectifs et les contraintes de l’émission. Les élèves volontaires se retrouvaient chaque mardi (probablement en fin d’après-midi) et chaque samedi, en-dehors des heures de cours, afin de réaliser des « brouillons » et autres petits « montages ». Cela prenait trois à quatre heures par semaine. Il faut rappeler qu’à l’époque, les emplois du temps scolaires ne prévoyaient pas de créneaux destinés aux projets de ce genre.
Les moyens de prise de son (ici, le magnétophone) font également l'objet de programme de télévision scolaire. On y voit ici des élèves d'un C.E.S. s'exercer à la création sonore.
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Ces « brouillons » et « montages » étaient réalisés au moyen de deux magnétophones à minicassette. La Compact Cassette (comme on l’avait baptisée à l’origine) – ou « minicassette » – avait été lancée en 1963 par Philips. Elle s’était rapidement imposée comme le « consommable » audio de référence auprès du jeune public. Malgré ses défauts (restitution des fréquences acoustiques insuffisantes, risque d’encrassement des têtes d’enregistrement-lecture, possibles distorsions, etc.), elle était considérée par l’Institut pédagogique national comme un « excellent bloc-notes » dans « tous les domaines où il est indispensable de disposer d’un matériel très maniable et où la qualité sonore est un impératif mineur » [2]. Les ébauches proposées par les élèves étaient écoutées et critiquées en classe le lundi, durant une demi-heure, en présence de l’enseignant et du producteur.
L’émission définitive fut enregistrée et montée dans un studio professionnel de la Maison de la Radio, mis à la disposition par l’ORTF. Comme on s’en doute, les élèves furent très impressionnés par cette pièce insonorisée, ainsi que par l’omniprésence des micros. L’enregistrement des textes nécessita quatre heures ; et le montage, en présence du producteur, de la réalisatrice (non créditée) et de deux élèves, en demanda quatre autres. L’intégralité du projet avait donc requis une bonne quarantaine d’heures.
En conclusion de l’émission, un élève formulait quelques recommandations à l’attention des classes qui voudraient, à leur tour, se lancer dans ce genre d’aventure :
« Je leur donnerais le conseil de s’y prendre à l’avance, de choisir vite leur sujet, et de faire beaucoup d’enregistrements sur des minicassettes ou autres magnétophones. Et il faut qu’ils travaillent en groupe pour qu’il y en ait quelques-uns qui disent les défauts, et de les corriger. Comme ça, ce serait plus facile. »
Un modèle d’atelier radio prometteur, qui n’a pu se développer dans le temps
En diffusant cette émission-test, les producteurs de la radio scolaire souhaitaient à l’évidence créer un cercle vertueux.
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Et en effet, on repère ici et là, dans les archives de Canopé, des émissions présentant quelques similitudes : par exemple et sans chercher à être exhaustif, un essai d’adaptation de La Métamorphose de Franz Kafka (« Le Club du mardi », 30 janvier 1973) ou encore Sur les bords de la Marne (« Le Club du lundi », 24 février 1975), inspiré du Diable au corps de Raymond Radiguet. Dans le premier cas, les élèves de 3e A du CES de Vitry-sur-Seine mêlent leurs voix à celles, plus aguerries, de deux comédiens professionnels : Louis Arbessier, dans le rôle du narrateur, et Jean-Louis Maury, dans celui de Gregor Samsa. Sur les bords de la Marne offre en revanche une vision plus impressionniste du roman de Radiguet : deux élèves en comptabilité du CET de Champigny-sur-Marne, Jeanne et Ada, partent à la rencontre, à la fois, des lieux qui ont inspiré le jeune écrivain et des spécialistes de son œuvre.
Force est cependant de constater que ces exercices d’apprentissage – qui auraient pu devenir un des axes majeurs et une des raisons d’être de la radio scolaire – ne parvinrent pas à s’imposer, ni par leur régularité, ni peut-être par leur pertinence. Ces exemples isolés de pédagogie active, très chronophages et peu encouragés par l’institution scolaire, étaient visiblement bien trop en avance sur leur temps.
[1] Dossiers pédagogiques de la radio-télévision scolaire, n° 9, 28 février au 12 mars 1972, p. 24.
[2] G.L., « La mini-cassette, un excellent bloc-notes », Média, n° 4, mai 1969, p. 21-22.
[3] J.-H. Robert, « L’émission des auditeurs : Germinal de Zola, essai d’évocation radiophonique réalisé par des élèves de 3e », Dossiers pédagogiques de la radio-télévision scolaire, n° 9, 28 février au 12 mars 1972, p. 23-24.
Pour aller plus loin :
- Catalogue des archives audiovisuelles Réseau Canopé : Des sons, des images, des enfants, Série Études pédagogiques, OFRATEME, 1976 et la série d'émissions radio Le Club du Lundi
- Extra classe : Les énergies scolaires - une pièce radiophonique en lycée pro, 2023 - Réseau Canopé
- Extra classe : Les énergies scolaires - Web radio dès 4 ans, un jeu d’enfant ? 2022 -Réseau Canopé
- Extra classe : Parlons pratiques – A l’école du podcast, 2021 - Réseau Canopé
- Canotech : Maintenir l'engagement des élèves grâce à des podcast, 2021 - Réseau Canopé
- CLEMI : créer une web radio
- Site de l'Unesco, journée mondiale de la radio 13 idées pour célébrer le 13 février 2024
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