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Les Radiovisions

Apparue dès les années 1950 dans les écoles néerlandaises, la radiovision fait son introduction dans le service de la radiotélévision scolaire, au sein de l’Institut Pédagogique National, au début des années 1960. Une émission diffusée en direct et un lot de diapositives projetées par l’enseignant en simultané composent ces productions, précurseuses des supports multimédias. Retour sur ce pan d’histoire de la radio scolaire, particulièrement destiné à l’école élémentaire.

Près de 350 émissions ont été produites en l’espace de trente ans. Mais l’ensemble du fonds n’a pu être réuni. Soit une partie des images manquaient, soit la bande radio qui leur était associée n’a pu être retrouvée. La Bibliothèque Nationale de France, partenaire du travail de sauvegarde et de numérisation des archives audiovisuelles de Réseau Canopé, plus particulièrement du fonds radio, a permis de rendre accessible 243 radiovisions sous forme de montage vidéo. En effet, les supports ne pouvant plus être utilisés dans les conditions auxquelles ils se destinaient, la consultation via un film composé de la bande magnétique audio et des diapositives numérisées a été préconisé.

Attirer les regards pour mieux capter les auditeurs

« La vue fixe, mobilisant l’attention, faciliterait la compréhension. Elle aiderait à la mémorisation en développant des associations image-son. »

Sauveur Minéo, responsable à l’époque de la radio scolaire, analyse les principes de la radiovision dans cet article du Bulletin de la R.T.S. de 1965.

L'article dans son intégralité sur Gallica

 

La question de l’attention des élèves, au cœur des préoccupations pédagogiques, est ainsi soulevée par les équipes de la radio scolaire. L’arrivée d’un nouveau support d’apprentissage diversifiait les méthodes, le rythme de travail et les modalités d’apprentissage en classe. S’il fallait commander les diapositives en amont, ainsi qu’être équipé du matériel nécessaire pour les projeter, les radiovisions permettaient aux enseignants de profiter de moyens audiovisuels tout en se passant de télévision, et surtout, de bénéficier d’images en couleur. La qualité des diapositives projetées étant supérieure à celle des images de télévision, les méthodes d’observation et de description étaient davantage développées lors de ces séances. Le dispositif offrait ainsi un moyen idéal de donner un cours sur l’histoire de l’art, à l’instar de la première émission, consacrée à l’impressionnisme en peinture diffusée en juin 1960.

Second domaine de prédilection des radiovisions, la géographie se prête particulièrement bien à cette alliance entre images et discours, ponctué par un signal sonore annonçant le changement de diapositives.

« La leçon de géographie idéale serait celle que le maître pourrait faire « en direct » dans le milieu étudié ; rien ne vaut en effet le contact de l’élève avec la réalité. Mais, puisque l’instituteur ne peut transporter sa classe sur les rives de la Garonne, au-dessus des Alpes, au pied des gratte-ciel de New-York, ou dans les cratères en feu, nous avons fait en sorte que la Garonne, les Alpes, les gratte-ciels et les volcans viennent dans les classes. »

Roger Bélis, réalisateur radio, commente les spécifités du format radiovision en géographie

 Article extrait du bulletin de la R.T.S. n° 34, novembre 1965

 

Parmi les radiovisions consacrées à la géographie, La Martinique, diffusée en 1964, joue avec les effets d'immersion en plaçant l'auditeur dans un espace de découverte, introduit par la mise en scène de la situation de projection.

 

« Mireille, une écolière du cours moyen apprend sa leçon de géographie sur la Martinique dans un beau livre illustré. Et comme par magie, les belles images qu’elle regarde, vous les verrez aussi puisque vous possédez les diapositives en couleur qui accompagnent cette émission. Jeanne et Rolland, deux étudiants martiniquais vivant à Paris vont commenter pour elle les images de votre écran. »

 La Martinique, réalisateur : Roger Bélis, (IPN-1964)

Un voyage spatio temporel

En développant l’idée d’immersion, de découverte, ces séances offraient un voyage collectif pour un moment de partage en classe à la fois studieux et ludique.

« L’émission de radiovision n’est pas une leçon ; elle ne prétend pas épuiser le sujet traité. Elle n’est qu’un point de départ, une motivation pour de futurs travaux scolaires. En classe on fera la leçon proprement dite, on recherchera d’autres documents. L’émission n’est pas non plus un spectacle : si les enfants la voient venir avec plaisir, s’ils la suivent avec intérêt, tant mieux. Mais nous pensons qu’elle n’est pas une fin, seulement un commencement. » indique Roger Bélis dans le bulletin de la R.T.S. de 1965 .

Le Japon, le Grand-Nord, l’histoire de la Révolution française se projettent ainsi dans les classes et permettent aux enseignants une entrée en matière s’adressant à tous les élèves. Quelques titres font l’objet d’une production sonore complémentaire, regroupés dans la série « Notre Monde » ou « Radio-éveil ». Parmi ces programmes en regards, on trouve un entretien avec Joe Hamman acteur et réalisateur de western français au début du XXème siècle et la radiovision « Le Far-West ».bulletin de mars 1973.

Dans cette radiovision, L'historien Jean-Louis Rieupeyrout commente des photos de l'ouest des États-unis au XIXème siècle.

Le Far-West, réalisateur : Claude Lavergne, (OFRATEME-1972)

 

 

 

Joe Hamman, un pionnier du western, réalisatrice : Françoise Lavergne, série : Notre Monde (1972-OFRATEME)

Dossier radiovisuel d'éveil de l'émission de radiovision sur le Far-West et de l'entretien radiophonique de Joe Hamman

Ou encore « Le Siècle de Louis XIV à travers l’art officiel », accompagné du programme de radio « L’envers du décor » témoignage d’un historien sur les

Parmi ces propositions d'émissions complémentaires, entre son et image,  la radiovision Le Siècle de Louis XIV à travers l’art officiel, se relie à L'envers du décor, entretien radiophonique avec un historien autour des conditions de vie et desrévoltes sociales au XVIIème siècle.

Le Siècle de Louis XIV à travers l’art officiel, réalisatrice : Maria Rostini, (CNDP-1977)

Document d'accompagnement des émissions sur Gallica

 

L'envers du décor, Série : Radio-éveil, réalisatrice : Maria Rostini, (CNDP-1977)

 

Le dispositif, forme de repère pour aborder une nouvelle thématique, a également bénéficié d’un accompagnement par la télévision. Dans l’émission  de 1970 Les moyens audiovisuels à l’école élémentaire, l’enseignant prépare en amont ses élèves au contenu de l’émission. Champ lexical et domaines associé de la montagne, connaissances géographiques : un ensemble de savoirs sont interrogés pour mieux apprécier ce moment de projection et l’approfondir de façon personnalisée. Comme le montre en exemple le film, ici, les élèves se sont exercés à créer une histoire autour de la montagne, inspirés par le récit qu’ils ont écouté de l’expédition du mont Janu dans la radiovision. Les élèves s’improvisent alors réalisateurs radio. Pour conclure cette séance, ils sont amenés à livrer leurs propres images, en s’inspirant des photographies de l’émission pour créer leurs dessins.

« il y a des images qui vous ont plus particulièrement et qui vous donneraient l’idée d’un dessin ? “ demande le professeur à l'issue de la projection.“Oui !” s’enthousiasme une enfant. “c’est celle où il grimpe sur l’arête”

Les moyens audiovisuels à l'école élémentaire : la radiovision au CM (2e partie), Série : Atelier de Pédagogie, réalisation : Patrice Gauthier, Auteur : Jeannine Deunff (1971-OFRATEME)

À la recherche d’un usage interactif

D’une part, parce que le passage des émissions à de la radio scolaire à l’antenne se complexifie, d’autre part, parce que les enseignants souhaitent l’intégrer selon leur propre emploi du temps, les radiovisions voient leur format et leur diffusion se modifier. Disques souple et cassettes sont éditées afin que les écoles commandent le programme sans se soucier d’un horaire de diffusion. Les émissions, qui duraient le plus souvent une demi-heure à l’origine, se raccourcissent. Les productions des années 1970 à la fin des années 1980 durent environ quinze minutes, un format plus adapté à un support de découverte et d’initiation. Les programmes s’ancrent dans une recherche d’interactivité

Les arts plastiques demeurent une matière souvent à l’honneur durant cette période. Dans l’émission l’artiste Ernest Pignon-Ernest, considéré comme un précurseur du street art, commente diverses images : photographies architecturales, peintures, et ses propres créations.

Des murs pour rêver, des murs pour créer, Monique Clerc (1986-CNDP)

Sur la deuxième diapositive, présentant une façade d’immeuble en miroir, il raconte : « Là c’est un truc qui fait complètement rêver. Quelqu’un qui est attentif peut voir les murs comme ça. C’est vraiment qu’à une heure particulière qu’il y a ces ombres portées, qui doublent, qui triplent la longueur des petits brins de papier qui sont encore collés. Mais du coup, ça vient comme un paysage, comme un univers cosmique, ça fait rêver. Comme une peinture. Chacun, face à un morceau de mur comme ça fonctionne presque comme une peinture. Chacun réagit avec sa part d’imagination et sa sensibilité. »

L’appel à l’imaginaire des élèves dans les propos d’Ernest Pignon fait écho aux expérimentations photographiques d’une classe de maternelle dans le programme  Lueurs, ombres, traces, trames. Les Photogrammes. Participant à l’élaboration de la radiovision, les élèves ont été enregistrés pour composer la partie audio du document tandis que leurs propres travaux pratiques constituent la base photographique.

« On a pris une feuille de papier photo, et puis on a mis la lumière. On a mis dans le bain révélateur, et puis c’est devenu blanc ». L’émission s’approche ainsi d’un tutoriel, un modèle d’un travail à reproduire et à réinventer avec un autre groupe d’enfants.

Lueurs, ombres, traces, trames. Les Photogrammes Jean-Claude Queroy et Monique Dewitte-Monfilliette (1983-CNDP)

 

Un signal sonore emblématique

Pour acter le passage d’une diapositive à une autre, un son est inséré entre deux commentaires. Musique d’époque pour des émissions historiques, murmures de pas, de voix pour des émissions artistiques, jappements de chiens pour la thématique animalière, prise de son documentaire ou signal électronique : la ponctuation sonore des radiovisions est propre à chacune d’entre elles. C'est une caractéristique typique de ces programmes.

Projection en classe d'une radiovision (IPN)

Une étape dans l'invention de nouveaux formats de travail en classe

Eclipsée par la désuétude des diapositives et par des techniques plus modernes, la radiovision disparaît au milieu des années 1980. Son intemporalité tient avant tout à son souci de se conduire comme une base, modulable, d’où on pourrait extraire un photogramme, un commentaire, et les réinventer. La recherche d’interactivité de ces programmes témoigne d’une envie d’orienter les apprentissages vers une dynamique d’échange et de créativité. Ancêtre à sa façon du multimédia, la radiovision forme un chapitre modeste de l’histoire des innovations pédagogiques.

Pour aller plus loin :

Nous contacter : archivesaudiovisuelles@reseau-canope.fr


publié le 25/10/2024