Chroniques

Cantine scolaire ou déjeuner à la maison ?

Si Carlos chantait, en 1972, sa préférence pour la restauration scolaire plutôt que les déjeuners à la maison, qu’en est-il des élèves ? Retour sur l’évolution de ce service qui accueille aujourd'hui en France un enfant sur deux.

La cantine scolaire permet à ceux qui ne peuvent rentrer chez eux, en raison du travail parental ou d'une distance école-maison trop grande, d’avoir un repas chaud. Elle constitue aussi pour les élèves un lieu et un temps d’échange, de sociabilité et de socialisation. 

Jusqu’au milieu du XIXe siècle, les repas collectifs se pratiquent selon des modalités laissées à l’initiative des parents et des enseignants. Les élèves apportent, chaque matin, un panier ou une musette contenant leur nourriture : du pain, de la soupe, agrémentée à l'occasion d’un morceau de lard ou de viandes à bas coût, et un fruit. Froid ou réchauffé sur le poêle de la classe, il est pris sous le préau, accompagné, selon les régions, d’un peu de vin, de cidre ou de bière, considérés comme des boissons naturelles. 

Progressivement, les communes dispensent des aides alimentaires aux enfants nécessiteux. Paris, en 1849, accorde une aide alimentaire aux enfants indigents et procède aux distributions dans les cantines. 

1979.07093.2. Monsieur, Nicolas liche mon beurre...attends, attends Nicolas, je vais t’aller licher..., F. Courtin, Benard, vers 1833

Le véritable essor des cantines survient avec les lois Ferry des années 1880 rendant l’instruction obligatoire et gratuite mais sans prévoir l’alimentation des enfants le midi. La restauration scolaire va néanmoins se généraliser sur tout le territoire et son caractère social se renforcer, conçue comme une œuvre de charité assurant un apport minimal à des enfants carencés, et pour renforcer l’attractivité des cours.

L’instauration de cantines scolaires dépend encore d’initiatives individuelles et non du pouvoir central dans de difficiles conditions d’existence : inconfort des locaux, manque d’hygiène, repas gras et peu variés... Malgré l’enseignement des ravages de l’alcoolisme par les instituteurs au début du siècle, les élèves apportent toujours leur boisson, la plus souvent alcoolisée.

Table d'une salle d'asile en Eure-et-Loir, Musée de l'école de Chartres.

Il faut attendre 1956 et l’intervention de Pierre Mendès-France, alors président du Conseil, pour voir l’usage de celles-ci interdit dans les écoles et limité aux élèves de plus de 14 ans. Au-delà de cet âge, les enfants peuvent, avec l’accord de leurs parents, continuer à consommer des boissons ne dépassant pas 3 degrés d’alcool par litre. 

1991.00180. Évreux, cantine scolaire de la Madeleine, 1904. Le repas consiste en une soupe, servie sur de grandes tables dans un coin de la cour. Chacun a sorti de son panier ou de sa musette un complément de son cru : quignon de pain, flacon de cidre ou de vin rouge. 

 

2016.41.1420. À la cantine (école maternelle). Carte postale d'après le tableau de Jean Geoffroy

C’est une circulaire de 1981 qui met définitivement fin à la consommation d’alcool dans les établissements scolaires : 

« L’eau est la seule boisson hygiénique recommandable à table […] Dans les cantines et les restaurants scolaires, il n’est servi aucune boisson alcoolisée, même coupée d’eau. » 

À la sortie de la Première Guerre mondiale, le constat concernant la nutrition et le nombre d’enfants touchés par la tuberculose inquiète. En 1917, le professeur Calmette déclare :

« Les cantines scolaires doivent être développées, multipliées, rendues obligatoires dans toutes les écoles parce qu’il est tout à fait indispensable d’assurer aux enfants du peuple une nourriture saine et suffisante pour leur développement physique ; c’est un devoir national. »  

L’entre-deux-guerres est marqué par le développement de la médecine de l’enfance et des préoccupations hygiénistes. Avec l’intervention de la sous-secrétaire d’État à l’Éducation nationale, Cécile Brunschwig, en 1936, le nombre de cantines augmente significativement, notamment grâce à l’obligation de construire un réfectoire dans toute nouvelle école et l’aménagement des établissements existants. 

1978.01004.8. École primaire supérieure de jeunes filles, Aire-sur-Adour (Landes), 1935-1936

1986.00793. École primaire supérieure de filles de Tours, Le réfectoire, 1920.

Le nombre d’enfants dépendant de la cantine est important durant la Seconde Guerre mondiale. Malgré l’attribution de quotas de rationnement supplémentaire aux cantines, les enfants subissent des retards de croissance importants. La gratuité de la cantine scolaire est l’une des revendications de la propagande communiste clandestine sous le régime de Vichy.  

La transformation des cantines en « restaurants d’enfants », dans l’après-guerre, est due à l’ancien maître d’école Raymond Paumier qui parvient à démontrer la nécessité d’une formation diététique, d’une normalisation des locaux, de la sélection du personnel et de la prise en considération par le gouvernement de projets de loi quant à l’alimentation rationnelle. Ainsi, en 1947, il crée, à Montgeron, le premier restaurant d’enfants. Plus de réfectoire vaste et bruyant mais de petites salles à manger avec un mobilier adapté à la taille des enfants. Les repas sont équilibrés et variés, composés et servis par un personnel compétent et impliqué. Pris pour exemple dans le monde entier, ce nouveau modèle côtoie toujours, dans les années 1950, des formes de restaurations scolaires plus rudimentaires, notamment dans les milieux ruraux où les élèves apportent encore quotidiennement leur panier-repas pour le déjeuner.  

Suivant l'instruction du 30 août 1949, la nature des aliments et leur quantité, garantissant leur valeur nutritive, sont fixées pour chaque jour de la semaine (un légume, une viande, un dessert facultatif). Il faut concilier l'abondance, l'hygiène et l'économie. 

1978.05290.245. École maternelle d'Aubervilliers : la salle à manger, Jean Suquet, 1954

1978.05290.1912. Lycée de Saint-Lô : le réfectoire des garçons à l'heure du déjeuner, Jean Suquet, 1958. 

Plusieurs textes de référence suivront pour encadrer l'alimentation à l’école : le 9 juin 1971, l’Éducation nationale rédige la première circulaire concernant la restauration scolaire : elle reste très centrée sur la lutte contre la dénutrition. 

Dans les années 1980, les communes prennent le relais des associations, bien que cette compétence ne soit pas obligatoire et qu’elle demeure un service public facultatif. La cuisine centrale se développe, les cuisines annexes s’équipent et la restauration commerciale privée commence à s’implanter. La généralisation du libre-service facilite la préservation d’un régime alimentaire personnel.

Un restaurant d'enfants, série : Activités autour d'un thème : L'homme et sa nourriture (1980-CNDP)

 La restauration scolaire poursuit son évolution en répondant aux questions de santé publique mais aussi environnementales. Elle participe depuis 2000 au Programme national nutrition santé (PNNS) pour la lutte contre l’obésité et l’éducation à la bonne alimentation. Elle contribue également à l’éducation du goût des enfants par la qualité et la diversité des produits consommés en favorisant les produit locaux et issus de l’agriculture biologique.

Ce service est aujourd'hui un enjeu économique, notamment lorsque les collectivités ont recours à des prestataires extérieurs via une délégation de service public, mais aussi dans le choix désormais assez fréquent de mobiliser des filières spécifiques : productions locales, agriculture bio, etc. L’externalisation peut par ailleurs faire l'objet de polémiques lorsqu'elle entre en contradiction avec cette démarche de qualité engagée depuis plusieurs années ou quand les repas ne répondent pas aux besoins nutritionnels préconisés et aux attentes gustatives des élèves.

2019.51.8. Affiche de profession de foi des élections au Conseil de la vie lycéenne (CVL) au lycée Jeanne-d'Arc de Rouen, 2019. 

Pour en savoir plus

Article rédigé par Cécile Lavenu en 2020, Musée national de l'éducation (MUNAE) - Toutes les illustrations photographiques proviennent des collections du musée.

Nous contacter : archivesaudiovisuelles@reseau-canope.fr

 

 

 


publié le 17/04/2023