Chroniques

Plongée en eaux très profondes

Comme l’a rappelé la catastrophe du Titan en juin 2023, l’exploration des grands fonds marins n’est pas une aventure sans risque. En juin 1958, la radio scolaire consacrait une de ses émissions à un exploit retentissant, tout à la fois scientifique et sportif, réalisé quatre ans plus tôt par deux Français téméraires.

Contexte historique

Le 15 février 1954, le commandant Georges Houot (1917-1977) et l’ingénieur du génie maritime Pierre Willm (1926-2018) avaient en effet plongé à une profondeur de 4 050 mètres, grâce à un submersible expérimental, le FNRS III, issu des réflexions et travaux du chercheur suisse Auguste Piccard (1884-1962). Cela se passait au large de Dakar, avec le concours de l’aviso océanographique de la Marine française Élie-Monnier à bord duquel se trouvaient deux grands pionniers de la plongée sous-marine, les commandants Philippe Tailliez (1905-2002) et Jean-Yves Cousteau (1910-1997).

Un petit retour en arrière s’impose : le 27 mai 1931, Piccard et son coéquipier Paul Kipfer (1905-1980) avaient réalisé la première ascension stratosphérique de l’Histoire, atteignant l’altitude jusqu’alors inimaginable de 15 781 mètres, à bord d’une capsule sphérique métallique tractée par un immense ballon gonflé à l’hydrogène. Pour réaliser cet exploit, Piccard avait bénéficié d’une subvention du Fonds national de la recherche scientifique belge (FNRS). Ce fut pour cette raison que son ballon ascensionnel fut baptisé de l’acronyme FNRS.

Tableau des équivalences présentant la pression stratosphérique. Image extraite de l'émission Du Scaphandre au Bathyscaphe, série : L'homme et son aventure (1962-IPN)

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Après la Seconde Guerre mondiale, l’intrépide chercheur – dont on se rappelle qu’il fut le modèle de Tryphon Tournesol dans les albums d’Hergé – se tourna vers l’exploration des grands fonds marins, inspiré par les travaux pionniers de Frederick Otis Barton Jr (1899-1992) et William Beebe (1877‑1962), qui avaient réalisé en 1934 une plongée à 923 mètres de profondeur à bord de leur « bathysphère ».

Piccard transforma sa capsule stratosphérique, l’améliora, la dota d’un hublot résistant aux très fortes pressions : il en fit un « bathyscaphe » (néologisme tiré des mots grecs bathus – qui signifie profond – et skaphos – navire). Le 31 octobre 1948, le FNRS II – « frère puîné du ballon stratosphérique », selon l’élégante formule de Jacques Piccard, fils et collaborateur de l’inventeur – plongea avec succès, mais à cette époque sans passager, à une profondeur de 1 380 mètres. Le lest consistait en de la grenaille de fer emmagasinée dans des silos et retenue grâce à des électro-aimants.

Dessin décrivant le bathyscaphe. Image extraite de l'émission Du Scaphandre au Bathyscaphe, série : L'homme et son aventure (1962-IPN)

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Par la suite, un des deux prototypes réalisés – le FNRS III – fut sensiblement amélioré par la Marine nationale française, en accord avec le fonds de dotation belge et avec le concours du CNRS. Ce fut à bord de ce bathyscaphe remanié que Houot et Willm réalisèrent leur exploit mémorable, après trois plongées à moindres profondeurs.

Le récit scientifique et romanesque de ces aventures sous-marines

Nous n’insisterons pas sur les grands principes fonctionnels du FNRS III : ils furent exposés dans une émission de la télévision scolaire. Intitulée « Du scaphandre au bathyscaphe », elle fut produite par l’enseignant en mathématiques Constantin Chassagne mise en scène par Serge Grave et diffusée le 21 novembre 1962 sur la seule chaîne de télévision alors existante.

En plateau, le professeur se livre à des démonstrations de la pression exercée en plongée. Image extraite de l'émission Du Scaphandre au Bathyscaphe, série : L'homme et son aventure (1962-IPN)

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La prouesse du 15 février 1954 eut un retentissement considérable : pour la première fois, des hommes atteignaient une profondeur de quatre kilomètres dans les océans. « Nous étions les premiers. C’est un peu comme la découverte d’un sommet vierge des Alpes », confia plus tard Pierre Willm. Paris Match titrait le 20 février : « Deux Français champions des profondeurs ».

L’émission de radio « Une plongée en bathyscaphe », produite et présentée par Jacqueline Clerc, fut pour sa part diffusée le vendredi 20 juin 1958 sur la chaîne France II de la Radio-télévision française (RTF).

Une plongée en bathyscaphe, série : Géographie, (1958-IPN)

 

Un peu plus de quatre années s’étaient écoulées depuis cet exploit mémorable et le programme s’adressait aux élèves de cours moyen 2e année (CM2), ainsi qu’à ceux de fin d’études primaires (FEP) et des cours complémentaires (CC, futurs collèges d’enseignement général) – autrement dit, aux 11‑14 ans.

Comme la plupart des épisodes de la série Récit d’aventure, l’émission consistait, pour l’essentiel, dans la lecture d’extraits d’un ouvrage : en l’occurrence, Le Bathyscaphe, à 4 050 m au fond de l’océan, paru aux Éditions de Paris en 1954, sous les signatures de Georges Houot et Pierre Willm. Deux comédiens, Paul-Émile Deiber (1925-2011) et Robert Tenton (1911-2003), interprétaient les passages retenus par Jacqueline Clerc et écrits à la première personne par Houot.

L’émission faisait écho à une précédente, diffusée quatre mois plus tôt, le 21 février 1958 :  Plongée sans câble à la fontaine du Vaucluse  avait été réalisée avec le concours du commandant Philippe Tailliez. C’était d’ailleurs ce dernier qui concluait lyriquement l’émission du 20 juin :

« [Le bathyscaphe] abordera les continents disparus, les épaves fabuleuses et il plantera un jour à 11 000 mètres, au plus profond des mers, le dernier pavillon de la découverte. »

L’analyse des titres des autres émissions de la série Récit d’aventure montre à quel point les grands exploits y étaient magnifiés : exaltation de l’endurance, de la persévérance et de l’intrépidité, qu’il s’agisse des « victoires » sur le Makalu (Une expédition française dans l’Himalaya, 1956), l’Aconcagua (Victoire sur l’Aconcagua , 1957) ou la Nanda Devi (L’ascension de la Nanda-Devi , 1958), victoire sur la stratosphère (Dans la stratosphère , 1958), ou encore de La mort héroïque du capitaine Scott au pôle Nord (1957). Conçues pour l’édification des jeunes générations, ces émissions semblaient faire écho à la fameuse collection « L’aventure vécue » des éditions Flammarion, lancée en 1952 ; il suffit pour s’en convaincre de citer le début de son prière d’insérer :

« Qui n’a pas rêvé de hauts faits et de grands exemples ? Qui ne s’est pas passionné pour une vie, pour un exploit qui atteste chez l’homme un courage, une énergie et une lucidité extraordinaires. […] Récits exaltants, à la fois pleins de vie et d’émotion, grandes figures qui illuminent nos raisons d’espérer, documentaires prodigieux, fenêtres ouvertes sur l’univers, chacun peut trouver là sa nourriture d’héroïsme, satisfaire son goût de l’action ou simplement son désir de connaître un monde plus vaste que d’autres hommes ont exploré. […] »

Article rédigé par Thierry Lefebvre, Comité des travaux historiques et scientifiques

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publié le 10/10/2023