Chroniques

Choisir sa voie professionnelle à la fin des années 1960

La question de la formation et de l’orientation socioprofessionnelle a régulièrement fait l’objet des productions de la télévision scolaire. Zoom sur trois émissions de la fin des années 1960 restituant les questionnements et les témoignages de ces jeunes quant à leur entrée sur le marché du travail.

Programme réalisé en deux parties, le Portrait de l’apprenti est diffusé sur à l’antenne en 1967 dans la série « Entrer dans la vie ». Les avantages et les inconvénients des différents parcours de la formation professionnelle y sont évoqués afin de sensibiliser les élèves aux différentes problématiques de la voie professionnelle.

La fiche d’accompagnement pédagogique présente ces deux programmes comme une piste de réflexion pour « éveiller l’intérêt des adolescents pour une situation » et les aider à faire un « choix raisonné » quant à leur orientation (Bulletin de la radio-télévision scolaire, document d’accompagnement pédagogique, 28 octobre 1968).

Dans la même dynamique, l’émission de radio diffusée le 5 janvier 1970, Le CET, (série : « La Vie professionnelle ») propose à travers des témoignages d’élèves en collège d’enseignement technique (CET) d’alimenter la discussion, dans des classes de 4e et 3e pratiques, autour de l’orientation.

Ces trois ressources livrent un aperçu de ce qu’était l’enseignement professionnel à la fin des années 1960, en laissant la parole aux premiers concernés, les élèves de voie professionnelle.

La voie professionnelle en quelques moments clés

Dès le XIXe siècle, des formations professionnelles permettent à l’industrie française d’avoir à sa disposition une main d’œuvre qualifiée.

En 1919, la loi Astier confirme la volonté de l’État de proposer un enseignement professionnel de masse, c’est la création des certificats d’aptitude professionnelle (CAP). Toutefois, jusque dans les années 1930-1940, l’enseignement technique est surtout pensé par et pour les patrons. Si un cadre est fixé, ce sont bien les entreprises qui dictent leurs besoins.

L’État souhaite reprendre la main sur les formations, afin de former aussi bien le travailleur que le citoyen. L’ambition est d’intégrer la classe ouvrière au cœur de la vie citoyenne et d’éviter le monopole de l’entreprise sur la formation. Dès l’après-guerre l’État régule plus nettement la voie professionnelle. Les formations deviennent plus exigeantes et visent à former une « élite ouvrière ».

En 1959, la scolarité devient obligatoire jusqu’à 16 ans, il faut donc accueillir ces nouveaux élèves du secondaire. Les formations professionnelles prennent leur part et les conditions d’entrée y sont assouplies. L’enseignement professionnel accueille de plus en plus les élèves dont les collèges et lycées généraux ne veulent pas. Cette tendance à la relégation des élèves en échec scolaire entraîne la dévalorisation des filières professionnelles, et le contexte économique difficile des années 1970 ne fera qu’accentuer ce phénomène.

Dans ces productions, la radio-télévision scolaire (RTS), sans omettre ces problématiques, tente de livrer un regard valorisant sur ce milieu scolaire, où les élèves peuvent acquérir compétences et indépendance.

Les divers chemins de l’apprentissage professionnel

Apprentissage directement en usine ou chez un artisan, école d’entreprise ou bien formation au sein d’un collège d’enseignement technique (ou lycée d’enseignement professionnel à partir de 1977) : plusieurs options permettent de faire son apprentissage. Les émissions telles que le Portrait de l’apprenti (parties 1 et 2) sont vouées à aider l’élève à faire ce choix, bien qu’il soit parfois dicté par le contexte économique de la région. Une élève en lingerie témoigne des réalités du bassins d’emploi et des attentes d’un territoire :

 

« Le métier qui me plairait le plus, c’est d’être vendeuse, mais comme dans la région le métier qui est le plus adapté pour une jeune fille, c’est d’être lingère, employée dans une lingerie, j’avais choisi ce métier-là. Mais le métier qui me plaisait le plus, c’est d’être vendeuse. »

Extrait de Portrait de l’apprenti 2. Émission réalisée par Michel Adenis (série « Entrer dans la vie », IPN, 1967) - Voir le film dans son intégralité (20 min)

En école d'entreprise : travailler ou apprendre ?

Le document d’accompagnement pédagogique de l’époque précise que « […] l’apprentissage sous contrat dans une école d’entreprise peut se rapprocher davantage de la scolarité en collège d’enseignement technique que de l’apprentissage artisanal ». En effet, les heures d’atelier y sont nombreuses et les formateurs très présents.

Cependant tous les apprentis en contrat d’apprentissage disent travailler beaucoup et ne pas pouvoir toujours « consacrer toute l’énergie qu’[ils] voudraient » aux cours théoriques (Portrait de l’apprenti 1). Les journées sont longues et les apprentis ont presque les mêmes conditions de travail que leurs collègues.

En usine : un rythme de travail imposant

Les journées sont intenses, notamment pour celles et ceux qui réalisent leur apprentissage directement en usine. Ils apprennent le métier sous la direction du contre maître ou de la « contre dame » et évoquent des conditions de travail pas toujours faciles, et même quelques abus. Certains ne sont ainsi pas toujours bien informés du contenu de leur contrat.

Les apprentis pointent comme les autres travailleurs.

« Y’a pas tellement une grande différence entre la troisième année et l’usine, et puis, avant, nous avions le samedi et le dimanche comme weekend, mais maintenant le samedi est occupé par le cours du BP [brevet professionnel]. »

Extrait de Portrait de l’apprenti 1. Émission réalisée par Michel Adenis (série « Entrer dans la vie », IPN, 1967) - Voir le film dans son intégralité (20 min)

Des apprenties en couture, d’une usine textile du Nord de la France, témoignent :

" – Elle est gentille cette contre-dame ? – Oui, ça va [rires], elle est un peu sévère. – Un peu ou beaucoup ? – Beaucoup. Ben, quand on parle, elle nous dispute et puis elle nous fait rester après l’heure."

 Extrait de Portrait de l’apprenti 1. Émission réalisée par Michel Adenis (série « Entrer dans la vie », IPN, 1967) - Voir le film dans son intégralité (20 min)

Chez un artisan : un apprentissage en immersion

L’apprentissage en artisanat comporte quelques cours théoriques, mais se concentre en grande partie sur le lieu de travail, en l’occurrence une ébénisterie d’art. L’ambiance apparaît familiale mais très hiérarchique. Un artisan dit : « Les compagnons, en principe, le traitent en apprenti, bien sûr, c’est le grouillot. Néanmoins ils le surveillent aussi parce que c’est pas toujours le patron ou le directeur ou le contremaître qui peut être derrière l’apprenti. » (Portrait de l’apprenti 1).

En CET : une scolarité pour affronter les difficultés de l'environnement professionnel

Dans la deuxième émission, Portrait de l’apprenti, les élèves de collège d’enseignement technique, eux, témoignent d’une qualité d’enseignement, d’un temps dédié à la formation qui leur laisse « le temps d’apprendre » et du soutien des enseignants. Si ces témoignages ne peuvent rendre compte de manière objective des conditions de formation, la fiche pédagogique précise que « [les CET] offrent aux adolescents des conditions particulièrement favorables à la préparation d’un CAP ».

Ainsi, si l’apprentissage en usine se traduit par un contact direct au monde du travail et garantit davantage de débouchés professionnels, il signifie aussi une entrée plus directe dans le monde adulte et certaines élèves de CET ne s’y trompent pas quand on leur demande si elles auraient préféré faire leur apprentissage en entreprise.

Les élèves constatent bien la différence entre l’école et le monde du travail lorsqu’ils réalisent leur stage, que ce soit négatif ou positif :

" Est-ce que c’était difficile de suivre le rythme le premier jour ? – Non, parce que [la patronne] comprenait assez facilement que je ne pouvais pas travailler comme elle au départ, vu que je sortais, je venais de l’école."

Extrait de Portrait de l’apprenti 2. Émission réalisée par Michel Adenis (série « Entrer dans la vie », IPN, 1967) - Voir le film dans son intégralité (20 min)

 

Si le CET retarde l’entrée des élèves dans la vie active, il permet aussi, pour ceux qui le souhaitent, la poursuite d’études.

Les journées sont réparties entre enseignement général et cours pratiques. Les enseignements tels que le français, l’histoire ou le calcul sont présents, mais paraissent « moins scolaires » pour les élèves. Les enseignements sont variés : « Nous allons quatre heures sur une machine et les autres quatre heures nous les passons dans les classes d’enseignement général. […] On apprend l’histoire, la législation, la puériculture, la géographie […]. » (Portrait de l’apprenti 2)

 

Dans le programme de la radio scolaire Le CET diffusée en 1970 dans la série « La Vie professionnelle », un professeur raconte l’organisation des enseignements.

Extrait de Le CET, série « La Vie professionnelle » (OFRATEME, 1970) - Ecouter l'émission dans son intégralité (14 min)

La voie professionnelle, un choix d’orientation déterminé par le niveau scolaire et les injonctions sociétales

Dans ces trois émissions de nombreux extraits montrent bien comment la voie professionnelle est parfois perçue comme une voie de relégation pour les élèves les « moins bons ». Dans le Portrait de l’apprenti 1, des jeunes témoignent de leur rapport à l’école et de leur qualité d’élève : « je n’aime pas l’école, j’ai jamais aimé l’école », « j’ai pas une bonne tête, je retiens pas », « en ce qui me concerne, c’est plutôt une issue de secours heureuse qui m’a fait venir ici ». Pour eux qui se considèrent comme « pas de bons élèves », la voie professionnelle semble inévitable. Mais d’autres, auparavant en échec scolaire, se révèlent de bons élèves une fois en CET.

Un professeur évoque le CET comme un lieu où les élèves peuvent aussi se réconcilier avec le système scolaire.

Extrait de Le CET, série « La Vie professionnelle » (OFRATEME, 1970) - Ecouter l'émission dans son intégralité (14 min)

 

La voie professionnelle apparaît donc comme un choix plus adapté pour certains, dans la mesure où les contenus et les méthodes d’enseignement sont différents des écoles qu’ils ont quittées. La pratique d’un métier rend aussi les choses plus concrètes.

Des élèves de section commerciale, futures sténodactylos ou employées de bureau, témoignent des changements dans les méthodes d’enseignement.

Extrait de Portrait de l’apprenti 2. Émission réalisée par Michel Adenis (série « Entrer dans la vie », IPN, 1967) - Voir le film dans son intégralité (20 min)

 

 

Mais les résultats scolaires ne sont pas les seules raisons pour choisir la voie professionnelle. Certains jeunes témoignent de leur volonté d’entrer dans la vie active au plus vite, et d’autres, de l’insistance de leurs parents à leur faire apprendre un métier.

Parfois ceux dont les parents ont insisté pour la voie professionnelle auraient aimé faire autre chose : « Mon père m’avait dit de choisir entre menuisier ou peintre, bon, moi j’ai essayé de prendre peintre et je pense que c’était bien. [Le réalisateur demande si ça lui plaît] Enfin, pas tellement, non. [Le réalisateur lui demande ce qu’il voudrait faire] Mécanicien dans les moteurs d’avion. » (Portrait de l’apprenti 2). D’autres font leur choix plus librement.

Plusieurs élèves de CET affirment avoir choisi cette orientation par dépit et se disent même parfois très mécontents de leur sort. Cependant, la plupart des élèves se sont bien adaptés à leur formation.

Extrait de Le CET, série « La Vie professionnelle » (OFRATEME, 1970) - Ecouter l'émission dans son intégralité (14 min)

 

Finalement, ces émissions donnent une image relativement positive du CET, notamment au regard des formations en contrat d’apprentissage. À la fin de leurs parcours, d’anciens élèves ayant rejoint le monde du travail évoquent avec nostalgie leur formation.

Former de futurs citoyens pour aborder le monde du travail

Les différents enseignements qui viennent compléter la formation professionnelle permettent aux jeunes d’être mieux préparer à leur entrée dans le monde du travail. On forme ainsi des travailleurs citoyens, capables de défendre leurs droits et leurs conditions de travail.

Dans ces trois émissions, les témoignages vont dans ce sens. L’objectif est clairement affiché : rendre les futurs travailleurs autonomes et capables de faire appliquer leurs droits. La place du syndicat y est évoquée comme une composante faisant partie du monde de l’entreprise.

Des élèves en couture témoignent ainsi des connaissances acquises autour de la législation.

Extrait de Portrait de l’apprenti 2. Émission réalisée par Michel Adenis (série « Entrer dans la vie », IPN, 1967) - Voir le film dans son intégralité  (20 min)

 

 

Les politiques publiques en matière d’éducation ont connu des évolutions dans leur manière de gérer les formations professionnelles. L’État n’entretient pas toujours le même rapport aux entreprises. Leur place au sein de l’école varie, elles y sont tour à tour omniprésentes, mises à distance ou associées.

Il n’existe pas une voie professionnelle mais des voies professionnelles. Les possibilités sont multiples et n’ont pas les mêmes contraintes et les mêmes conséquences pour la vie des élèves.

Selon les contextes économiques et les orientations politiques, les formations professionnelles connaissent des réputations fluctuantes. Les enseignants, eux, ont toujours pour rôle d’accompagner les élèves et de leur transmettre les qualités nécessaires pour faire face au monde du travail.

Ces trois émissions d’archives témoignent de la réalité de ces formations à un moment donné. Les programmes effleurent d’autres aspects comme les différences filles-garçons, le choix des filières ou bien l’entrée dans le monde du travail. Autant de facettes à explorer et à mettre en regard avec les orientations actuelles.

Article rédigé par Aude Clochard, documentaliste (Réseau Canopé)

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publié le 05/12/2023