Focus
L’éducation musicale en chantier
Depuis sa création, la R.T.S. a produit des ressources d’éducation musicale, principalement constituées d’émissions de chants radiodiffusés, livrant un conducteur aux enseignants s’exerçant avec leur classe. Ces cours radiophoniques offraient aux élèves une pratique concrète mais finalement assez technique de la musique.
Un exemple des cours radiodiffusés de chant, ici à destination des classes maternelles : "Le bon Roi Dagobert", Série : CHANT, (IPN-1967)
| Dossier d'accompagnement pédagogique de l'émission «Le bon roi Dagobert», n°30, du 17 au 27 avril 1967 |
Diffusés en février 1972, dans la série « Regardons », les deux films « Autour de nous : Les bruits, les sons, la musique » proposent une approche alternative de cette discipline. Ce programme en deux parties s’inscrit dans le contexte politique des années 1970, tel que l' analyse Malika Combes dans l’article « La musique contemporaine et l’école »,
Extrait de l'article Malika Combes, «La musique contemporaine et l’école» , revue « Transposition, musique et sciences sociales » [En ligne], 2012
« Difficile à mettre en place, notamment à cause de la barrière technique que représente le solfège, l’activité musicale à l’école est alors soit cantonnée à la seule pratique du chant, dans un esprit peu tourné vers l’innovation, soit simplement abandonnée. Dans les années 1970, l’État s’alarme de cette inertie et se tourne vers une nouvelle conception de la pédagogie, issue entre autres de l’éducation populaire. Ces années sont aussi celles de l’affirmation du soutien des pouvoirs publics à la musique contemporaine (c’est-à-dire la musique atonale composée à partir de la seconde moitié du XXe siècle), dans le cadre d’une conception de l’État culturel qui met la création au cœur de sa mission ».
Destinés aux élèves de classes élémentaires, les deux films sont un exemple typique de productions dédiées à l’éducation musicale, mettant entre parenthèses l'apprentissage par le chant, le solfège où par l’écoute et l’analyse d’œuvres classiques, pour sensibiliser les écoliers à la musique contemporaine et électro-acoustique. Ces films reviennent aux fondements même de la musique, le son, pour décrire un processus créatif, à portée de tous.
Une expérience sensorielle et cognitive
Plan large sur un chantier d’Evry-Petit-Bourg dans l’Essonne : une grue, des bruits de moteur et de monticules de pierre. C’est ainsi que débute cette première émission. Sans aucun commentaire, elle plonge les téléspectateurs dans une atmosphère brute, composée des sons réalistes liés à l'environnement du bâtiment.
Le document d'accompagnement, rédigé par l'auteure des deux films, Josette Sultan, détaille la structure des programmes pour permettre aux enseignants de s'emparer de cette approche expérimentale de l'initiation musicale. Dossiers pédagogiques de la radio-télévision scolaire, cycle élémentaire N°8, 7 au 27 février 1972 |
La réalisation du film emprunte une esthétique assez sinueuse et intrigante. Les différents plans de chantiers se succèdent à des échelles variées. L’identité sonore de chaque objet (grue, tractopelle) est ainsi isolée. Aucune consigne, pas plus qu’une information n’est donnée au cours de cette immersion, jusqu’à ce que les musiciens, enfants et adultes, apparaissent dans ce décor urbain.
Un mouvement de caméra panoramique dévoile deux enfants accompagnés de trois adultes. Chacun s' exerce au xylophone ou aux cuivres, pour accompagner l’ambiance sonore inscrite au début du film. Ce jeu d’échange, entre outil et instrument, revêt des allures de comédie musicale bruitiste. Puis la caméra quitte progressivement le groupe de musiciens, s’élève vers les grues et le ciel, pour redescendre sur le chantier. Voir le film dans son intégralité (19 min.) |
Extrait de Autour de nous : les bruits, les sons, la musique I., série : Regardons, réalisé par Patrice Gauthier (OFRATEME-1972)
De cette « cacophonie, comme le nomme le document d’accompagnement, naît une expérience de restitution et dans un second temps de composition musicale. Enfants et adultes ont quitté le chantier et reprennent à l’intérieur les principes qui les ont inspirés sur le chantier. Dans ce processus d’apprentissage et d’éducation artistique, on retrouve les idées directrices de la série « Regardons » telles qu’elles ont pu être décrites quelques années plus tôt dans l’article de Josette Sultan de 1968, « Évolution d’une série : REGARDONS ».
"Regardons » nécessite une attitude de curiosité, de réflexion, de respect, voire même de fantaisie et d’imagination. Ce qui importe pour l’esprit c’est finalement de refuser les preuves trop faciles de l’habitude." |
« Autour de nous : Les bruits, les sons, la musique I » prépare les élèves téléspectateurs à découvrir le second volet du programme, consacré à une expérience professionnelle de musique concrète. Les processus de création des sons, et les méthodes employés par les artisans de ces oeuvres exigeantes, parfois déroutantes, y sont captés pour rebondir sur les connaissances apportées par la première partie.
La musique : un jeu d’enfants ?
« Quel est le processus de la création artistique, si l’on considère l’artiste comme un adulte qui a gardé la faculté de jouer, qui sait inventorier ; acquiert le savoir faire et qui, par ces aptitudes nécessaires et non suffisantes, aboutit à la création d’une œuvre ? »
C’est avec cette interrogation liminaire que le document d’accompagnement pédagogique introduit « Autour de nous, les Bruits, les sons, la musique II ».
Diffusée à la fin du mois de février 1972, soit deux semaines après le premier volet, la deuxième partie du programme présente le compositeur Paul Méfano entouré de trois autres adultes lors d’une session en studio. Une voix off introduit le film, expliquant cette fois la démarche sans laisser le téléspectateur dans le doute : les bruits qui vont être fabriqués sous leurs yeux doivent servir à composer un morceau de musique. Différentes formes de bruits à vitesse et volume sonore variés passent à l'essai : froissements de bandes magnétiques, pincements des cordes d’une cithare sont ainsi enregistrés au micro afin d’assembler des éléments de composition.
| Le groupe en pleine recherche d’éléments et de nouvelles matières sonores. Comment obtenir un effet de percussion avec la bande ? Faut-il tester plutôt le polystyrène ? Et pourquoi ne pas frotter un morceau de ce polystyrène sur les cordes de la cithare ? Paul Méfano, finira par trancher pour revenir sur ses premiers essais autour de la bande magnétique. Voir le film dans son intégralité (27 min.) |
Extrait de : Autour de nous : les bruits, les sons, la musique II., série : Regardons, réalisé par Patrice Gauthier (OFRATEME-1972)
Ces sons stridents, plutôt inattendus, peuvent être accueillis avec une certaine curiosité par des élèves qui auraient déjà goûté à la musique expérimentale en visionnant la première partie du programme. Dans ce deuxième épisode, les adultes se livrent à des expérimentations proches de celles menées par les enfants sur le chantier. En établissant ce parallèle, les élèves peuvent plus aisément accueillir cette œuvre autour de la création d’une pièce électro-acoustique. Le dernier quart d’heure du film est consacrée à l’enregistrement de la pièce de Paul Méfano « Bi-function ». Josette Sultan, auteure du film et du document d’accompagnement pédagogique conseille d’ailleurs aux enseignants de laisser cette ultime partie du film en option :
« Nous signalons aux utilisateurs que nous avons laissé cette œuvre qui constituait un évènement musical dans sa totalité (dix minutes environ). L’émission s’en trouve prolongée d’autant. Ils auront donc toute liberté de l’interrompre si les enfants manifestent des signes de fatigue. Mais dans le cas contraire, nous souhaiterions savoir de quelle façon a pu être reçu, un morceau de musique contemporaine dont les sonorités ne peuvent être étrangères à des enfants de la fin du XXè siècle. » Dossier pédagogique de la radio-télévision scolaire, cycle élémentaire N°8, 7 au 27 février 1972.
Exigeant et ludique, Autour de nous : les bruits, les sons, la musique I et II reflète une volonté de rebondir sur les innovations dans le domaine de la création musicale, et de prendre le temps de transmettre ces processus à la fois complexes et enfantins de la composition musicale. Dans les années suivantes, des films comme « Décor sonore » en 1976 dans la série « Atelier de pédagogie » et des séries radiophoniques telles que « Le grand Bécarre » se pencheront sur l’apprentissage des musiques concrètes et expérimentales, en sensibilisant le jeune public à des domaines de créations innovants.
En savoir plus
Éducation et initiation musicale à l'école
- Visite de l'I.R.C.A.M., une émission de la Radio Scolaire diffusée en 1991 dans la série : Le Grand Bécarre
- Décor sonore, série : Atelier de Pédagogie, réalisé par Daniel Libaud, (CNDP-1976)
- Les enfants de la Zique une plateforme proposée par Réseau Canopé et les Francofolies qui favorise la découverte de la chanson en classe en permettant de s'emparer de l'oeuvre d'un artiste francophone.
Autour de la musique contemporaine
- Malika Combes, «La musique contemporaine et l’école» , revue « Transposition, musique et sciences sociales » [En ligne], 2012
- La Maison de la Musique Contemporaine (MMC) a pour mission la valorisation et la promotion de la musique contemporaine, l'accompagnement des professionnel.le.s ainsi que la médiation et la sensibilisation des publics. Podcast et playlist sont en accès sur le site.
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