Chroniques
En immersion sur les docks, de Rouen à Dunkerque
L’imaginaire que convoque ce métier, entre décor portuaire aux airs d’industrie maritime et travail de chantier en équipe, apparaît attrayant pour des élèves de fin de primaire. L’émission de radio Marcel Leroy, Docker à Rouen (1960) et le film La journée d’un docker (1971) réemploient ces images pour en extraire des pistes de réflexion pédagogique et un regard social sur ces travailleurs portuaires.
Un souci de réalisme, à l’épreuve des contraintes techniques
Diffusée en 1960, l’émission Marcel Leroy, docker à Rouen se destinait aux élèves de cours moyen, sur le point de terminer l’école primaire. Entre recomposition sous forme de récit radiophonique et reportage pris sur le vif, ce programme sensibilise à une réalité professionnelle concrète du milieu marin, moins reconnue/palpable/évidente pour des enfants que le travail à même sur les bateaux. Il s’agit aussi d’une leçon de géographie, livrant des éléments de l’activité économique de la ville portuaire de Rouen, « grand port maritime bien qu’il soit situé sur la Seine, à plus de 100 kilomètres de la mer » comme l’introduit le commentaire de présentation.
| Marcel Leroy, Docker à Rouen, série : Géographie, (IPN-1960), 13 min. |
D’une durée d’à peine un quart d’heure, l’émission synthétise les principaux aspects de la profession sous forme de questions-réponses entre le personnage du jeune Jacques, auquel un comédien prête sa voix, et celui de Marcel Leroy, le docker également interprété par un comédien. Le travail par « bordées », l’évolution liée à la mécanisation de l’activité, la pénibilité et précarité du statut de docker, l’importance de l’import de charbon à Rouen : ces éléments de leçon en classe se traduisent dans l’échange entre l’enfant et l’adulte. Le capitaine d’un cargo bananier, également enregistré par un interprète en studio, répond aux interrogations de Jacques dans un second temps. Cet échange entre documentaire et fiction permet d’approfondir des connaissances autour de la navigation et d’introduire du vocabulaire lié à cet environnement (chenal, dragues). Ce procédé inédit au moment de la conception de l’émission découle de contraintes matérielles, mais aussi de « nécessités d’horaire » comme on le lit dans un article consacré à cette production lors de sa rediffusion en 1965.
L’auteur de l’article souligne avec une certaine ironie les malentendus s’étant produits sur le tournage autour de la question de la livraison des barils de vin, désormais livrés par les pinardiers directement aux cuves des chais. "Première émision en "extérieurs" de la radio scolaire, Marcel Leroy, docker à Rouen", Bulletin de la radio-télévision scolaire n°34, du 29 novembre au 11 décembre 1965
|
Remodelant l’esprit du reportage en introduisant le personnage du jeune garçon, curieux d’apprendre comment travaille un docker et comment fonctionne l’activité portuaire, cette émission de radio présente une approche pédagogique vivante et interpelle les jeunes auditeurs via l’identification à un personnage de fiction. Le film diffusé en 1971, La journée d’un docker, adopte quant à lui pleinement la forme du documentaire, et souligne plus particulièrement la thématique de l’insécurité matérielle et physique de cette profession.
« La journée d’un docker » : une vision plus frontale du réel
Construit autour du déroulement d’une journée de Maxime Perci, docker vivant à Dunkerque, troisième port de marchandises de France, le film s’insère dans la collection destinée aux élèves de classes de transition Les hommes dans leur temps (série de la télévision scolaire diffusée de 1965 à 1977).
Destinée aux classes de transition, pour des élèves éprouvant des difficultés à l’école élémentaire,
Une promenade dans la vie quotidienne, Bulletin de la radio télévision scolaire n°76, Décembre 1968 |
La journée d'un docker, série : les hommes dans leur temps, réalisation : Michel Duverger (1971-OFRATEME) 20min. Le film entremêle les séquences avec Maxime Perci, livrant des images et des propos concernant la difficulté du métier, avec d’autres rencontres faisant l’objet d’un entretien. Document d'accompagnement, Pédagogie d'éveil I, Brochure n°52, 1971 |
Avant le carton titre, il s’ouvre sur la parole d’un délégué syndical, à son bureau, qui revient sur le fonctionnement de la profession, et des lois d’après-guerre ayant permis plus de sécurité.
"C’est un travailleur intermittent, à employeur multiple. Intermittent pourquoi ? Parce qu’il doit attendre qu’il y ait un bateau pour dire de travailler. À employeurs multiples pourquoi ? Parce que les stevedore, les patrons, doivent comme nous attendre qu’ils aient un bateau pour venir nous embaucher."
On entend également dans cette introduction un docker âgé, travaillant depuis les années 1930, décrivant le manque de sécurité de l’emploi, et les phases de travail de « 36 heures sans repos ».
Dans ce va et vient entre témoignage oral et séquences de travail sur les quais, où les hommes manipulent sacs de grains, tuyaux de pipeline, troncs de bois, l’équipe de réalisation du film s’entretient également avec une femme.
Fille, épouse, sœur et mère de docker, elle raconte ses inquiétudes et le deuil lié à la disparition de son frère tué au port à 24 ans en 1932. |
Puis le docker au centre du film fait à son tour l’objet d’un entretien. La parole de Maxime Perci est mise en scène à travers un montage en voix off. Les images de son trajet vers son domicile à l’heure de la pause et de son déjeuner en famille illustrent son discours soulignant l’insécurité de son travail. Ce décalage renforce la portée du film sur la difficulté du métier. Les images d’un repas en famille se confrontent aux mots du docker autour de la pression liée à l’intermittence et au rendement, des accidents et la mort de certains de ses collègues, et des conflits avec les patrons.
Son entretien se conclue sur ces mots :
|
Maxime Perci et ses collègues consacrent leur après-midi au travail dans les cales. Le bas du visage recouvert d’un masque, ils déplacent à la pelle des monticules de grains dans l’obscurité.
Cette séquence à l’intérieur du bateau, dénuée de dialogue, transmet une image forte des conditions difficiles de l’emploi. |
Les hommes sont interpellés par le délégué syndical lorsqu’ils sont à l’air libres, toujours à bord du bateau. Les patrons refusent de revoir à la hausse le salaire, lié à cette activité demandant de redoubler d’efforts, sans pour autant atteindre le rendement escompté. La grève est annoncée. Le documentaire se clôt sur la fin de cette journée, réunissant les dockers au café autour d’une partie de cartes.
Des oeuvres pédagogiques et universelles
Les deux œuvres partagent une même thématique, que l’émission de la série de télévision Les hommes dans leur temps oriente plus spécifiquement vers la question des droits des travailleurs. Le format radio, plus court et s’adressant aussi à des élèves un peu plus jeunes, s’apparente plus à un matériel pédagogique pour travailler en classe des points de géographie, tout en cherchant à rendre vivant cet univers maritime pittoresque de ces travailleurs entre terre et mer, qui ne quittent pas le port. Figures emblématiques des questions de droits du travail et de lutte sociale, les dockers ont fait l’objet de plusieurs documentaires, telles que Les Dockers de Liverpool de Ken Loach en 1997 autour du licenciement de 500 employés suite à une grève.
En savoir plus :
- Les 21 et 22 septembre 2024, programme des 41ème journées européennes du patrimoine
- Catalogue des archives audiovisuelles de Réseau Canopé : Les films de la série Les hommes dans leur temps
Le patrimoine maritime dans d'autres programmes de la R.T.S. :
- Bateliers des deux mers, le canal du midi 1&2, Série : Regards, réalisation : Francis Bitard (1977-CNDP-CRDP de Bordeaux)
- Le travail des marins pêcheurs, série : la vie contemporaine, documentaire réalisé par des élèves de classe pratique à bord d’un chalutier de Boulogne sur mer (1970-OFRATEME)
Documentaire sur les dockers :
- Pourquoi disparaissent prématurément les dockers ?, de Charlotte Bienaimé et Diphy Mariani, France Culture-2014
Nous contacter : archivesaudiovisuelles@reseau-canope.fr