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« Architecture et pédagogie : Architecture nouvelle... Pédagogie nouvelle ? »

La Cité de la Villeneuve de Grenoble est un quartier emblématique qui a marqué l'histoire de l'urbanisme en France. Elle a été construite dans les années 1970, à une époque où l'on cherchait à créer des espaces de vie différents des grands ensembles souvent critiqués pour leur monotonie et leur manque d'intégration sociale.

La Villeneuve a été conçue dans le cadre d'un projet urbain ambitieux né à la suite des idées issues de mai 1968 et des réflexions sur le « droit à la ville ». Ce dernier s'inscrivait dans une volonté de créer un quartier exemplaire et novateur pour répondre à la crise du logement de l'époque et aux nouveaux idéaux urbanistiques. Une utopie ? L'idée fondatrice était de développer un lieu où toutes les catégories sociales se côtoieraient, favorisant la mixité sociale. L'architecture devait être pensée pour faciliter les échanges entre les habitants, tout en offrant des équipements culturels, éducatifs et sportifs de qualité. Ce projet incluait cinq groupes scolaires (les Buttes, les Charmes, le Lac, les Bouleaux, la Rampe) et un collège.

 

"Sociologues, psychologues, médecins, pédagogues, membres des associations de quartier, architectes ont travaillé durant de longs mois pour essayer de définir ensemble un nouveau type d’école », introduction d’Annette Bon, responsable de la série « Atelier de pédagogie ».

A la Villeneuve de Grenoble, réalisé par Jacqueline Margueritte, OFRATEME, 1973, 73 min.

 

Les établissements scolaires construits bénéficient d’un statut expérimental, qui leur permet d’organiser leur fonctionnement et le cadre de l’enseignement selon les principes de la coéducation.

Un programme architectural expérimental : les écoles ouvertes 

La Villeneuve a été conçue pour casser les modèles urbains traditionnels et proposer un cadre où l'interaction entre les habitants, en particulier les enfants, serait favorisée par l'aménagement. L'expérience des écoles ouvertes à la Villeneuve reposait sur des idées éducatives progressistes, en phase avec les courants pédagogiques de l'époque, influencés par les idées de l'Éducation nouvelle (Freinet, Montessori, etc.).

Dans le cadre de la série « Atelier de pédagogie », A la Villeneuve de Grenoble prend la forme d’un magazine, d’une durée beaucoup plus importante que les programmes habituels de la télévision scolaire. Ce document expose l’ensemble des réflexions qui ont eu lieu entre les différents corps de métier pour développer ce projet d’écoles ouvertes.

Dans la première partie de l’émission, les architectes et pédagogues sont interviewés, ils exposent le cadre et les principaux objectifs, ils reviennent sur les premiers mois d’usage des bâtiments et évoquent les points positifs et négatifs déjà constatés.

L’école : la volonté était de ne pas avoir de couloir afin d’utiliser cette surface pour créer des espaces polyvalents de travail, de liaison et de relation.  

Ecole maternelle et primaire de la Maison des buttes. A la Villeneuve de Grenoble, OFRATEME, 1973.

 

La classe : le souhait était de sortir de la traditionnelle salle rectangulaire, de limiter les cloisonnements mais d’avoir tout de même suffisamment de murs pour les affichages divers. Des espaces ont été créés pour permettre le rassemblement en petit groupe.

"L'Alvéole" aussi appelé "le grenier" : dans la classe, ce coin en hauteur était dédié aux activités en petit groupe, Maison des buttes, école maternelle et primaire. A la Villeneuve de Grenoble, OFRATEME, 1973.

 

La liaison du groupe classe avec l’extérieur : en prenant en compte les contraintes du milieu urbain, l’espace cour a été repensé : il n’y a plus de barrière.

Cour de récréation de la Maison des buttes, école maternelle et primaire. A la Villeneuve de Grenoble, OFRATEME, 1973.

 

On constate, dans les différentes séquences du programme, la très grande proximité des écoles avec les habitations, une proximité qui avait été d’ailleurs pointée du doigt à l’époque. L’architecte Charles Fourrey précise lors de son interview :

« il s’agissait davantage d’une volonté des urbanistes et des architectes en chef de greffer les écoles directement sur la rue, ce qui a été critiqué par certains instituteurs ; qui leur disaient que, sous couvert de faire des écoles ouvertes en réalité, ils voulaient animer la rue, c’est-à-dire faire des écoles vitrine ».

En effet, malgré la volonté d’innover en matière d’architecture scolaire, en incluant aux réflexions les équipes éducatives, il est aisé de constater dans ce programme que l’ensemble du complexe de la Villeneuve de Grenoble n’offrait pas un espace si important aux différentes écoles et principalement aux extérieurs.

Les images en témoignent, les bâtiments sont littéralement aux pieds des gigantesques barres d’habitation.

Cour de récréation de la Maison des buttes, A la Villeneuve de Grenoble, OFRATEME, 1973

 

La seconde partie du programme se déroule six mois après le début du fonctionnement de la Maison des buttes, en mars 1973. En alternance avec des séquences en classe, trois enseignants sont interviewés ; ils font un premier point sur l’expérimentation pédagogique de l’école ouverte, en évoquant les apports mais aussi les inconvénients déjà constatés. La caméra se déplace, longuement, dans les espaces de la Maison des buttes à différents moments de la journée, le téléspectateur assiste ainsi à des séances d’activité ou au repas à la cantine, entre autres.

Ecole maternelle et primaire de la Maison des buttes, A la Villeneuve de Grenoble, OFRATEME, 1973

Une école, des interactions

La construction des écoles dans le quartier de la Villeneuve s’inscrivait dans une démarche globale d’aménagement urbain et social. Dans cette perspective, l’objectif était de faire des établissements scolaires un véritable lieu de vie, un accueil pour les élèves mais aussi pour les parents ou les habitants qui étaient invités à s’impliquer dans le processus éducatif. Cela favorisait un environnement d'apprentissage en lien direct avec la vie quotidienne et les besoins du quartier.

Dans la dernière partie de l’émission, la parole est donnée aux parents.

« Le jeudi après-midi, je vais aux activités, j’ai un atelier dans la classe de ma fille […] ça nous permet d’un peu mieux comprendre le système, d’être un peu plus en liaison avec l’institutrice. »

« Les maîtres sont très ouverts, c’est très facile de discuter avec eux. L’ennuyeux, c’est peut-être qu’il n’y a pas assez de parents qui viennent. »

Parent d'élève, A la Villeneuve de Grenoble, OFRATEME, 1973.

 

« Dans l’école où j’étais avant, les parents restaient derrière la grille de l’entrée alors que maintenant on se sent chez nous, il n’y a plus le cloisonnement entre les instituteurs et les parents. On se sent un petit peu coéducateur des bambinos et pas les instit’ d’un côté et nous de l’autre »

Parent d'élève, A la Villeneuve de Grenoble, OFRATEME, 1973. 

 

Plus largement, les habitants du quartier sont aussi interrogés sur les espaces scolaires et de manière plus générale sur la vie sociale à la Villeneuve de Grenoble. Est-ce que ces nouvelles constructions, telles qu’elles ont été imaginées, sont vraiment propices à plus d’échanges ? Est-ce que la mixité sociale fonctionne ? Certains commentaires témoignent déjà de difficultés rencontrées.

Bien que l'expérience des écoles ouvertes ait marqué l'imaginaire éducatif et urbain, elle a également fait face à des défis. L’expérience de la Villeneuve de Grenoble reste un exemple fascinant de l’interaction entre architecture et pédagogie. Elle montre comment l’espace physique peut être un outil puissant pour encourager de nouvelles formes d’éducation et de socialisation. Cependant, elle rappelle également les contraintes que ces expérimentations ont pu rencontrer, surtout lorsqu’elles sont confrontées à des réalités sociales et économiques complexes.

Aujourd’hui, le quartier fait l'objet d'un ambitieux projet de renouvellement urbain, dans le cadre du Plan National de Rénovation Urbaine (PNRU) ; ce projet s'étend jusqu'en 2030. Un des objectifs clés est de faire de la Villeneuve le premier « Écoquartier populaire » de France, avec des réhabilitations thermiques et des espaces verts repensés dans une démarche participative. Une nouvelle utopie ?  ​

Sélection de programmes pédagogiques de la télévision scolaire tournées à la Villeneuve de Grenoble :

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publié le 09/10/2024