Evènements

Le radioamateurisme : un projet scolaire ?

À l'occasion de la journée mondiale de la radio, Thierry Lefebvre, historien des médias, analyse l'émission "Les radio-amateurs I et II" diffusée en mars 1975 sur les antennes de Radio France. Un hommage à cette pratique, présentée pour la radio scolaire, dans la série : "La vie contemporaine" et à destination à l'origine des élèves de collège.

En mars 1975, la productrice Antoinette Berveiller (1912-2012) consacra deux émissions successives de la série « La Vie contemporaine » aux radioamateurs. L’opportunité lui en avait été à l’évidence fournie par un anniversaire curieusement non mentionné dans son reportage : le cinquantenaire du Réseau des Émetteurs Français (REF), principale association regroupant les passionnés d’ondes courtes.

Fondé en 1925 (nous fêtons donc cette année son centenaire !), reconnu d’utilité publique en 1952, le REF avait et a toujours pour buts de « créer un lien amical entre les amateurs officiels français et assurer la liaison avec les organisations étrangères », d’« organiser des essais d’émission et de relais », et de « représenter en toutes circonstances les amateurs émetteurs, en particulier auprès de l’administration […] ».

Vers 1975, on comptait quelque 650 000 radioamateurs (ou OM, abréviation de « Old Man » dans le sens de « Mon vieux ») de par le monde, la plupart au Japon et aux États-Unis, et seulement 11 000 en France. Ce phénomène était donc minoritaire dans notre pays, sans pour autant être négligeable.

On peut s’interroger sur les raisons objectives qui ont poussé Antoinette Berveiller à consacrer deux émissions de la Radio Scolaire au radioamateurisme, en-dehors – bien entendu – de l’opportunité fournie par cet anniversaire et sa commémoration. « La Vie contemporaine » s’adressait en effet aux collégiens, c’est-à-dire à des élèves âgés entre 11 et 15 ans. Or les conditions pour devenir radioamateur étaient à l’époque très strictes : comme le rappelait Isabelle Mazel dans une étude très complète parue dans Les Cahiers de l’animation en 1976, « il faut, pour pouvoir émettre, être titulaire d’un indicatif décerné par les P. et T., être âgé de 16 ans. Ceux qui ne possèdent pas cet indicatif ne sont qu’auditeurs et il leur est interdit d’émettre » [1]. À noter que de nos jours, et ce depuis l’an 2000, il n’y a plus d’âge minimum requis pour se présenter aux épreuves du « certificat d’opérateur des services amateurs » : en 2022, le jeune Ethan, 9 ans, l’a ainsi obtenu haut la main ; c’était, à l’époque, le plus jeune radioamateur certifié de France.

Toujours est-il qu’en 1975, la quasi-totalité des jeunes auditeurs auxquels s’adressaient ces émissions, se trouvaient dans l’impossibilité légale d’émettre. Ce fait essentiel n’était paradoxalement pas précisé, ni dans le reportage proprement dit, ni même dans son document d’accompagnement où était précisé de manière en partie erronée :

On abordera [dans l’émission] les problèmes d’ordre plus technique : - Comment on devient radio-amateur. – À quel âge on peut obtenir la licence délivrée par les télécommunications et en quoi consiste l’examen.

« Les Radio-amateurs (I et II) », Dossiers pédagogiques de la Radio-Télévision scolaires. 2 – Premier cycle – 1974-1975 (Éditions Ofrateme), p. 29-30.

 

On abordera [dans l’émission] les problèmes d’ordre plus technique : - Comment on devient radio-amateur. – À quel âge on peut obtenir la licence [2] délivrée par les télécommunications et en quoi consiste l’examen. […] [3].

Autre approche paradoxale de la question : le jeune Vincent, co-intervieweur au côté d’Antoinette Berveiller, n’était âgé que de 13 ans. Il était donc bien trop jeune pour espérer devenir, même dans un avenir relativement lointain, un « émetteur français ».

De là, sans doute, l’embarras de l’« expert » interrogé (sur lequel on dispose d’ailleurs de peu d’informations, en-dehors du fait qu’il pratiquait le radioamateurisme « depuis de longues années » et qu’il faisait sans doute partie de l’équipe dirigeante du REF à l’époque). En définitive, à qui devait-il s’adresser ? À des jeunes « écouteurs » ou à d’hypothétiques et futurs « émetteurs » ?

 

Les Radio-amateurs I, Première partie, Série : la vie contemporaine, Réalisation : Christine Amado, (1975-Ofratème), 14 min30

Les Radio-amateurs II, Deuxième partie, Série : la vie contemporaine, Réalisation : Christine Amado, (1975-Ofratème), 14 min30

Extraits de la première partie de l'émission :

L’expert : Alors, pour être écouteur, il faut acheter un poste, un récepteur capable de capter des ondes courtes. Et puis, il faut simplement s’inscrire sur un registre des PTT, comme quoi on écoute les ondes courtes. […]

Vincent : Et pour émettre ?

L’expert : Alors, pour émettre, c’est plus difficile. C’est-à-dire que pour émettre, il faut passer des licences, qui sont au nombre de deux. Et ces licences, il faut travailler pendant quelques mois, même quelques années, essayer d’apprendre les bases de l’électronique, apprendre les méthodes de trafic. Et pour la 2e licence, apprendre la télégraphie.

De même, lorsqu’Antoinette Berveiller lui demandait « comment on devient radioamateur », c’était bien à l’enfant « écouteur » auquel il pensait spontanément. C’était d’ailleurs pour lui l’occasion de se remémorer l’époque de ses premiers émois dans le monde des ondes radioélectriques.

L’expert : Eh bien, on devient amateur, je pense, progressivement, en découvrant qu’on est un passionné de radio, qu’on aime bien écouter. On est un peu curieux de savoir ce qui se passe dans les autres pays, curieux d’entendre par exemple un Japonais quand on est à Paris, d’entendre un garçon qui est à Moscou ou à New York. Et on commence par écouter le bon vieux poste que l’on a chez soi et ensuite on progresse en achetant des récepteurs qui sont plus spécialisés dans les bandes ondes courtes ou des bandes amateurs. […] J’ai commencé, je crois, par amour du sport. J’avais fait des postes à galène et je pouvais comme ça arriver le soir – j’étais interne dans un collège –, et je pouvais arriver, le soir, tard dans mon lit, à avoir les résultats des matches de football. Ce qui me permettait d’être très fier le lendemain matin et de dire à mes petits copains, par exemple, que Reims avait gagné sur Valenciennes.

Cinquante ans après sa première diffusion, cette conversation à bâtons rompus entre un radioamateur aguerri et deux néophytes, garde, malgré cette posture indécise, un certain charme. Des illustrations sonores, nombreuses et parfois pittoresques, permettent aux auditeurs de découvrir les deux modes de communication prisés des amateurs d’ondes courtes : la télégraphie en Morse, déjà en déclin à l’époque, et la « phonie », de vive voix. On y apprend également que l’obstacle de la langue est surmonté grâce à une panoplie d’abréviations de service : le fameux « code Q », adopté à l’occasion de la conférence internationale de Londres en 1912, quelques semaines après le naufrage du Titanic : QRX pour « en attente », QRA pour « emplacement de la station », QRO pour « signal puissant », etc. Il en existe une bonne cinquantaine. L’attrait pour les cartes QSL – autrement dit pour les accusés de réception postés du monde entier – était également évoqué.

« Les Radio-amateurs (I et II) » : Quelques abréviations utilisées entre amateurs, Dossiers pédagogiques de la Radio-Télévision scolaires. 2 – Premier cycle – 1974-1975 (Éditions Ofrateme), p. 29-30.

Cela dit, ces deux émissions atteignirent-elles leur but ? En l’absence de documents d’évaluation, il est impossible de le savoir ; et la relative confusion des propos nous autorise à en douter.

En novembre 1974, Claude Bare, alors président du REF, soulignait pourtant l’importance de la vulgarisation du radioamateurisme auprès du jeune public :

Il y a quelques années, le Conseil d’administration [du REF] avait pensé qu’il était important de présenter nos activités dans les milieux scolaires, techniques et universitaires. N’est-ce pas tout aussi important de nos jours ? Ceux qui pensent que l’émission d’amateur est mal connue en France ne me contrediront pas. […] Le grand public ne découvre en général notre existence, et de là nos activités, que par la presse à l’occasion de tel ou tel message d’urgence, si ce n’est par son journal local qui lui apprend que les « radioamateurs » brouillent les pistes ou sont condamnés pour avoir perturbé la télévision ! [2]

Claude Bare suggérait donc l’organisation de « démonstrations » dans les établissements scolaires, dans le cadre des « 10 % pédagogiques » instaurés par le ministère en 1973. C’est également ce que proposait, de manière très explicite, le document d’accompagnement des deux émissions d’Antoinette Berveiller :

Si dans une classe, un maître constate l’intérêt de ses élèves pour la question, le REF (Réseau des Émetteurs Français) peut le mettre en rapport avec des radioamateurs de la région dans laquelle il se trouve et qui seraient susceptibles de venir faire des démonstrations. Comme cela s’est produit dans un CES de la Seine-Maritime, dans le cadre des 10 %.

Pour toute demande de renseignements concernant les radioamateurs, s’adresser au Réseau de Émetteurs Français, 2 square Trudaine, 75009 Paris. [3]

Dès lors, le REF apparaît clairement comme l’instigateur de ces deux émissions, conçues avant tout comme un moyen d’intéresser les enseignants et de lui ouvrir les portes des établissements scolaires. Ce but stratégique fut-il atteint ?

Notes :

[1] Isabelle Mazel, « Les radio-amateurs », Les Cahiers de l’animation, n° 12, 2e trimestre 1976, p. 3-18. Cette interdiction est le sujet même d’un des rares romans pour la jeunesse traitant de la question : Gerd funkt auf eigener Welle (1950) de Rolf Ulrici, traduit en français en 1963 sous le titre Gerd et son poste émetteur et édité par Magnard. Le jeune Gerd, âgé de 14 ou 15 ans, y utilise sans autorisation administrative l’émetteur radio de son grand frère. À l’époque, en RFA, l’âge minimum requis était de 18 ans.

[2] Claude Bare, « Éditorial », Radio REF (organe officiel du Réseau des Émetteurs Français), 46e année, n° 11, novembre 1974, p. 771. La question des « messages d’urgence » est évoquée dans la seconde émission, en particulier à travers l’exemple d’un film emblématique du radioamateurisme : Si tous les gars du monde (1956) de Christian-Jaque, où il est question de l’acheminement d’un vaccin antibotulique sur un navire en détresse.

[3] « Les Radio-amateurs (I et II) », Dossiers pédagogiques de la Radio-Télévision scolaires. 2 – Premier cycle – 1974-1975 (Éditions Ofrateme), p.30

Article rédigé par Thierry Lefebvre, Comité des travaux historiques et scientifiques

En savoir plus :

 


publié le 13/02/2025